Entre chien et loup
Thierry Leclerc porte bien son nom, tout son travail est à la recherche d’une clarté subtile, cette lumière particulière quand le ciel se couvre doucement, très lentement pour embrasser la nuit. Un moment d’apaisement où les choses semblent apparaître dans leur vraie vérité, un état particulier qui vacille dans son immobilité comme une chandelle peut trembler très progressivement avant de s’éteindre. La peinture de Thierry Leclerc tient d’un arrêt sur image, instants de grâce. Et quelle grâce faut-il convoquer pour retranscrire ces moments d’humilité. « Ô temps, suspends ton vol ! Et vous, heures propices, suspendez votre cours ! » nous disait l’éternel Lamartine. Il en est alors de ces moments d’infini un état de douce pâleur qui chancelle au gré des heures. Ce n’est pas pour rien que ce sont les instants que choisissent les oiseaux pour se rassembler et faire entendre leurs voix cantilées qui murmurant, traversent la nature dans l’aube comme dans le crépuscule.
Il est un titre de Christian Bobin qui s’appelle « Noireclaire », ce titre en soi est un hommage à la présence vivante parce que toujours différente de la vie des ombres. Les œuvres de Thierry Leclerc sont un appel à la vie silencieuse. Bientôt, c’est une affaire de minutes, le ciel de nuit aura repris son pouvoir sur la terre. Le monde pictural que nous donne l’artiste semble fait d’images en suspension, et l’on ne sait alors si le regard est invité à la légèreté de l’air ou doit céder à la pesanteur de l’obscurité suspendue dans un plissement des paupières, en résistance à la fatigue et dans l’expectative du repos ? La richesse du silence est là pour qui sait l’entendre et la rendre au statut méditatif d’une prière, adressée seulement et humblement à la chance de voir et, synesthésiquement, d’entendre.
Dans cette œuvre sommeille la présence de la couleur grise et son pouvoir d’extrême subtilité, qui peut, selon ses nuances, varier de la froideur aux tons les plus chauds. La soi-disant « grisaille » peut être le théâtre de l’expression de la lenteur, de la douceur, de l’attente d’un rien et même du vide en appel d’absolu.
Le gris et ses camaïeux déclinés en infimes variations est porteur de pensées intérieures, de rêve éveillé, d’écho d’absence comme de la plus subtile présence.
Le noir quant à lui, peut être habité de « noir clair » ou de « noir foncé ». Il peut être miroir des ténèbres, il peut être aussi une attente irrépressible de lumière. Il est l’allié du temps qui passe, il peut en être le messager fidèle et changeant, voyageur infatigable traversant les minutes et les secondes, asservi au fonctionnement de l’univers. « Le Soleil Noir » est un appel à une suprême victoire sur l’état d’obscurité.
L’œuvre de Thierry Leclerc est à l’affût de la transcendance des ombres. S’il en est le spectateur, il en est aussi le décrypteur. Son espace de création tient d’un rai de lumière infiltré entre ce que l’on nomme « la chambre noire » et « la chambre claire ». Il est l’explorateur silencieux de cet entre-deux. Ses œuvres longuement élaborées, nous invitent à nous imprégner et à s’éprendre d’instantanés de clair-obscur, fugaces mais présents comme une offrande en recherche d’éternité. L’artiste capture des images outrepassant les limites du temps et des lieux.
Au bout du compte, il s’agit d’une tentative d’atteindre la plus infime pureté, celle des grandes profondeurs.
Joseph-Charles Farine, mars 2020






