Pierre Ferrarini

Un condamné à mort s’est échappé

Vernissage le 26 janvier dès 18 heures

Exposition du 26 janvier au 25 février 2012

Vue d'exposition
Vue d’exposition

Petite histoire d’un sous-main

À considérer le protocole du travail dans lequel il s’est engagé depuis plusieurs années, on aurait pu penser que Pierre Ferrarini allait s’y trouver enfermé. Que les mailles qui tissent son dessin et les grilles qui structurent ses tableaux détermineraient l’architecture d’une inévitable prison. Paradoxalement, c’est tout le contraire qui est advenu et ce n’est ni des dessins, ni des tableaux, que la lumière a surgi mais d’un élément pour partie caché – son « sous-main », comme il l’appelle – auquel l’artiste n’avait destiné jusque là aucune autre fonction que d’accueillir les dépassements de son trait au-delà de sa feuille de papier. Découpé au même format A6 que celle-ci, ce simple morceau de carton sur lequel il s’appuie pour dessiner et qu’il fait pivoter au fur et à mesure du travail était de fait voué à être jeté après usage, « condamné à mort » en quelque sorte.
Pierre Ferrarini avait eu beau estimé l’intérêt plastique qu’il présentait, à force d’enregistrer les débords de son dessin, il ne savait pas quoi en faire. C’était sans compter avec le fait qu’un travail aussi réglé que le sien ne pouvait appeler qu’un fonctionnement intrinsèque, quasi autarcique, exigeant que tous les constituants jouent un rôle dans le développement prospectif de l’œuvre. Aussi le sous-main s’est-il imposé à l’artiste et a-t-il revendiqué son droit à l’existence comme pour mieux attester du travail accompli : de l’état de victime, il est passé à celui de témoin.
De sa rencontre avec Roman Opalka et d’une discussion à propos de la décision du peintre de se photographier systématiquement à la fin de chaque séance de travail pour fortifier son concept de « sculpter le temps », l’idée s’imposa bientôt à Ferrarini d’appliquer au sous-main le même traitement qu’à chacun de ses dessins : à savoir, le scanner chaque fois avant d’en faire un nouveau. De l’un à l’autre, le sous-main se charge ainsi de la somme de tous les dépassements commis et gagne une intensité nouvelle qui apparaît dès lors comme l’image même de l’écoulement du temps à l’œuvre. Non seulement telle procédure participe à accroître le fondement de la démarche de l’artiste mais elle le nourrit des miettes que celle-ci engendre, ainsi l’œuvre se régénère-t-elle de ses propres rebuts. Du pivotement de la feuille de papier sur le sous-main, il résulte de plus que celui-ci est davantage noirci sur sa périphérie qu’en son centre et que, d’un scan à l’autre, il en émane une luminescence chaque fois différente.
La prise en compte de cet objet et de ses qualités propres a conduit l’artiste à envisager une nouvelle déclinaison de son travail dont le sous-main est devenu un élément déterminant. Chacune de ses images, scannée en l’état à la fin de chaque dessin, associée au scan de celui-ci, constitue le module de base de la composition des nouveaux tableaux de Ferrarini. Du statut de « sous-œuvre », ce simple morceau de carton a acquis celui d’assise. Si l’artiste en parle en termes de « brique », c’est parce qu’il l’emploie à la création d’une structure encore plus architecturée que ses précédents tableaux.
Chacun de ces modules offre à voir une plasticité duelle : d’une part, une moitié gauche à dominante sombre ; de l’autre, une moitié droite plus ou moins claire. Leur arrangement à l’intérieur de chaque tableau détermine un ensemble aux allures de mosaïque que fait vibrer le rythme alterné des bandes noires des scans des dessins et des bandes éclairées de ceux du sous-main. Cet effet, excédé par l’association en quadriptyque des tableaux, les instruit d’une puissante structure égale aux barreaux d’une prison. Quoique leur ordonnancement témoigne d’une rigueur très minimaliste, on pense aux gravures de Piranèse et à ce brouillage visuel qui en intrique la forme et le fond. D’autant plus que l’idée de « cage » qu’évoque Pierre Ferrarini à propos de l’installation de ses tableaux dans le lieu de leur exposition corrobore une telle comparaison.
« Un condamné à mort s’est échappé », proclame le titre de cette nouvelle série de travaux de Pierre Ferrarini. L’échappement dont profite le sous-main ne réside pas seulement dans le fait d’avoir trouvé sa place au sein de l’œuvre et de lui avoir donné comme un second souffle mais aussi dans ce qu’il produit lui-même d’un délitement à venir des barreaux de la cage. En effet, comme les premiers scans du sous-main ne portent pas de nombreuses traces de dépassement du dessin, ils présentent une surface plutôt lumineuse mais comme avec le temps celles-ci s’accumulent, le champ iconique s’assombrit peu à peu. À la façon dont la rouille noircit puis ronge n’importe quel élément métallique jusqu’à son effritement, les scans du sous-main semblent ainsi grignoter peu à peu la structure grillagée des tableaux. Il en est une nouvelle fois d’un principe fondamental de recyclage qui trouve son manifeste dans la célèbre formule de Buffon reprise par Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». L’œuvre de Pierre Ferrarini n’est finalement autre que la métaphore du flux qui gouverne le vivant.

Philippe Piguet

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Pierre Ferrarini, scripteur du temps

Pierre Ferrarini, s’il avait vécu au quattrocento, aurait sans doute été scribe. Mais il est homme de cette époque, et le langage artistique qu’il  a choisi tient cependant d’un minimalisme absolu. Il y a d’abord les outils mis en œuvre : une simple carte blanche format A6 (14,8 x 10,5 cm), un crayon de graphite, une plume de 0,5 mm, de l’encre de Chine Pelikan puis vient l’assemblage des cartes par système informatique et le tirage par jet d’encre pour aboutir à l’objet tableau. Il y a le travail du dessin dans une systématique humble, quasi monacale et régulière face au support. Il en résulte une écriture picturale où la texture, le tissage, l’entrelac sont les signifiants dominants d’un rapport à l’espace où le vide est absent. Ou bien peut être encore que ce plein linéaire  qui envahit le champ spatial serait une autre manière  de tendre au vide, remplir pour mieux faire le vide et être présent pleinement dans l’instance.
Pierre Ferrarini, en architecte de sa propre pensée, a inventé sa discipline artistique personnelle dans un engagement quasi ascétique face à cette fatalité universelle du temps qui se mesure, qu’il faut bien mesurer pour en prendre conscience. Baudelaire nous avait prévenu, le dandysme  n’est pas loin d’une rigueur religieuse. L’artiste a choisi comme tracé, avec le double sens que ce terme peut avoir ici, une trajectoire radicale, sans concession, ni aux  bruits de la mode, ni à l’esbroufe, mais avec une conséquence déterminée au postulat qu’il s’est fixé.
L’œuvre de Pierre Ferrarini se posture dans une conscience extrême de l’instant même, pour nous le renvoyer dans une cartographie où le regard peut voyager sans fin en nous invitant alors à gagner le temps de regarder et savoir voir ce qui d’ordinaire se mesure, la temporalité, dont il a la subtilité de nous donner une vision à nulle autre pareille.

Joseph Farine, février 2012

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De grands panneaux, apparemment rayés, se retrouvent dans la galerie. Il s’agit pour Pierre Ferrarini, architecte de formation, né en 1964, de la poursuite d’une expérience. Les colonnes de gauche se composent de dessins, format A6. Celles de droite du sous-main qui se garnit peu à peu de leurs empreintes. « Collées » à l’ordinateur, les imprimantes aboutissent à quatre panneaux, composant à chaque fois un tableau. C’est toujours le même, avec un léger décalage. Le premier dessin disparaît, laissant remonter le second à sa place. Et ainsi de suite.
Deux textes et un catalogue dépliant accompagnent cette aventure, plutôt conceptuelle.

Etienne Dumont, La Tribune de Genève, le 11.2.2012

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