Les ambiances architecturales de Pascale Badaf
Depuis une trentaine d’années Pascale Badaf concentre son travail pictural, principalement des huiles sur toile, sur l’architecture des premières décennies du 20e siècle, soit sur le mouvement moderne dont certaines réalisations apparaissent dans ses peintures, celles notamment de Frank Lloyd Wright, Ludwig Mies van der Rohe, Richard Neutra, Alvar Aalto. Souvent l’artiste part d’une photo de revue, de journal ou d’une publicité, elle s’inspire aussi du cinéma, celui d’Alfred Hitchcock, de Wim Wender ou de Jim Jarmusch. Suivant son processus créatif, Pascale Badaf se détache progressivement de son modèle pour imaginer ses propres décors et environnements, introduisant alors de nouvelles résonances picturales comme celle du réalisme photographique américain, illustré par Edward Hopper, ou des accents japonisants qui se manifestent dans les décors végétaux ou les formes très épurées de ses compositions. L’eau, autre élément naturel, occupe une forte présence dans plusieurs œuvres : mer, océan ou piscines, les surfaces aquatiques lisses tels des miroirs reflètent de subtiles variations nuageuses et célestes. Enfin, la lumière naturelle ou artificielle émanant de ses toiles occupe un rôle essentiel dans son système représentatif. Pascale Badaf joue sur les effets de clair-obscur et de contre-jour, réglant ses lumières comme une éclairagiste de théâtre afin de les mettre au service de la scène principale et des atmosphères diurnes ou nocturnes qu’elle entend suggérer. De façon énigmatique, les espaces éclairés ou dans la pénombre semblent désertés de toute présence humaine, mais une lampe allumée, des rideaux entrouverts, des verres et une bouteille installés sur une table, une vague silhouette à l’intérieur d’une voiture trahissent une vie, des activités dont le spectateur ne perçoit qu’un instant suspendu, laissant alors l’imaginaire compléter le récit lacunaire. Le réalisme n’exclut pas l’illusionnisme ou l’imaginaire. Si les personnages sont absents de ses tableaux, les édifices, villas, bâtiments industriels et autres mobiliers urbains, sont en revanche les véritables protagonistes des compositions de l’artiste. Ses représentations se construisent sur une iconographie dominée par la figure de style de substitution de la « métonymie », rhétorique iconique qui consiste à mettre à la place des hommes des choses, en l’occurrence des éléments architectoniques ou des éléments naturels, qui occupent l’espace et se chargent d’organiser une sorte de narration ou de storyboard.
La Galerie Andata / Ritorno accueille l’exposition de Pascale Badaf dans des locaux récemment rénovés et dont l’espace, étant lui-même un ancien bâtiment industriel, met particulièrement en valeur les œuvres de l’artiste. Joseph Farine, le galeriste, continue depuis plus d’une quarantaine d’années sa programmation au rythme d’une dizaine, ou plus, d’événements annuels, toujours animé par l’esprit de découverte de talents artistiques et la volonté d’exposer des artistes de qualité mais dont la reconnaissance n’est pas affirmée. Un travail de fond, le plus souvent à contre-courant du marché de l’art, mais qui, in fine, se révèle indispensable dans le paysage culturel genevois.
Françoise-Hélène Brou
