De la civière d’Arthur Rimbaud et du sens du détournement intelligent de Daniel Buren
« Trouver le lieu et la formule. »
Arthur Rimbaud
En route, non pas, pour la gloire, mais « on the roth again ». Lea Roth revient de loin, non pas si loin géographiquement, car son atelier est rue des Voisins. J’ai rarement connu une artiste aussi obsédée par la pratique de son travail. Il aura donc fallu beaucoup de travail aussi à l’accrochage de cette exposition pour qu’enfin « les attitudes prennent forme ». Son attitude artistique est d’une exigence, d’une rigueur extrêmes. Je l’aurai expérimenté et vérifié, lors de mes différentes visites à son atelier et, aujourd’hui, dans la mise en espace de cette exposition qui tient à la fois de l’accrochage, de l’assemblage et du posage pour reprendre des termes chers à mon ami Alain Jouffroy. Cette mise en place a pris la tournure d’une forme d’Odyssée. Il fallait bien que ce bateau navigue et ne coule pas. Il aura donc fallu beaucoup d’heures et plus de cinq jours pour que littéralement cela tienne. Nous avons relevé ce défi, dans un labeur assidu, sans oublier l’amitié souveraine et la disponibilité extrême de l’assistance de Sébastien Roth. Le défi était donc celui-là, que cet accrochage aboutisse à un résultat exigeant et parfait.
Que nous offre donc à voir l’œuvre raffinée de Lea Roth? Des monotypes certes, mais pas seulement. L’utilisation du bois de peuplier comme support n’est pas sans nous rappeler, par ailleurs, celui des icônes.
Une étrange barque est présente dans la première salle, peut-être en souvenance inconsciente du goût prononcé pour la navigation du père de l’artiste, Alain Vaissade. Cette barque évoque pour moi de manière inconsciente, mais immédiate, le souvenir du dessin réalisé en avril 1891 par Arthur Rimbaud pour la civière destinée à le rapatrier, amputé de la jambe droite. Une civière qui, portée par quatre serviteurs noirs, l’emmena malgré d’immenses souffrances jusqu’au port d’Aden, avant d’être rapatrié à Marseille où il mourut le 10 novembre 1891.

En réponse à cette sculpture, et dans la même salle, Lea Roth a l’impertinence d’intervenir sur des toiles de stores récupérées dont l’élément plastique n’est pas sans rappeler, de toute évidence, une iconographie mondialement reconnue dans le monde de l’art contemporain, celle de Daniel Buren. Fort à propos, Lea Roth a su détourner à des fins picturales, graphiques et personnelles, et dans un suprême outrage, ce signe obsédant et encombrant de la contemporanéité. Lea Roth s’empare de cette icône rebattue pour se l’approprier à des fins plastiques personnelles. Que peut encore nous apporter l’art, qui fasse sens, dans une époque d’abusive post-modernité, si ce n’est un terrain propice à l’interrogation ?
Chez Lea Roth la réflexion se positionne ainsi : « remonter les profondeurs de la structure qui va modifier et déstabiliser la représentation que l’on se fait du panneau en tant que présentation d’un sujet. Comme en psychanalyse, pour la question du sens, s’adresser « derrière », c’est-à-dire à l’inconscient, qui régit nos processus fondamentaux. »
Lea Roth nous invite donc à regarder bien au-delà de l’apparence de panneaux de tilleul, d’huile et d’encre sur bois, de toile polyester, de métal, de corde. Elle nous invite avec justesse et talent à regarder derrière les tableaux, puisque le monde entier est, déjà en soi, un tableau.
Joseph Farine, 24 octobre 2019






Revue de presse
« Lea Roth », par Nafsika Guerry-Karamaounas, in L’Art à Genève, 22/10/2019