EXO MATTRESSES, par Cyrielle Vignacourt, historienne d’art
Avec la série Exo Mattresses 2014-2015, Iseult Labote se concentre sur les matelas. Ces matelas sont les témoins fidèles d’une fracture entre un passé établi, souvent heureux et une migrance en dérive. En 2016, Iseult Labote découvre par hasard l’exposition berlinoise « Metro Mattresses » de l’artiste Ed Ruscha et s’enthousiasme de la consonance de leurs recherches respectives. Ils travaillent tous les deux sur le même sujet. Mais contrairement à Ed Ruscha, Iseult Labote ne se focalise pas sur la symbolique onirique du matelas. Dans ses photographies, la neutralité de l’objet matelas se perd, pour laisser entrevoir l’activité humaine. L’expérience de l’exil. L’objet ainsi dénaturé renvoie à une réalité matérielle et émotionnelle d’une situation fragile. Le matelas est la trace de l’occupation humaine, de ses déplacements. C’est un objet intime et identitaire. Il est lié à l’histoire de celui qui l’occupe. Balader d’un endroit à un autre le matelas permet de peupler un lieu, de s’attribuer un espace. Il devient ainsi un objet précieux et indispensable, un territoire personnel aux limites éphémères. Il devient sa propre frontière.
« Exo » signifie « hors de » en grec ancien et se rapporte à l’exode. C’est un thème récurrent dans le travail d’Iseult Labote car il fait partie de son héritage: sa famille fuit l’Asie Mineure lors de la Catastrophe de Smyrne en 1922.
LITS DE FORTUNE, par Joseph-Charles Farine
« Je suis le saint, en prière sur la terrasse,
– comme les bêtes pacifiques paissent jusqu’à la mer de Palestine. »
Arthur Rimbaud
Il s’en fût d’une première Exode biblique ou un peuple entier était guidé par une colonne de nuée, le jour, pour indiquer la route, et la nuit en forme d’une colonne de feu, pour les éclairer. Cette peuplade pouvait ainsi poursuivre sa marche jour et nuit en quête inlassable de la Terre promise.
Traversant l’histoire de l’humanité, la possession faisant incurablement partie de l’entité humaine, les hommes n’ont jamais cesser de chasser d’autres hommes et le devoir partir n’a cessé de participer de l’enjeu de la survie.
Il est des exils intérieurs, où pour la nécessité de la survivance de l’âme, on déplace en son intimité morale ce qui était le plus précieux en nous, pour sauvegarder à notre sang l’énergie de couler dans nos veines et se réactiver encore et toujours à la place du cœur et ses battements.
A l’heure où l’immigration est devenu un problème majeur à l’échelle mondiale, faisant ressurgir par ailleurs des positions nationalistes les plus primaires. Iseult Labote a choisi paradoxalement pour traiter du thème de l’exode un objet éminemment statique bien que mobile et néanmoins parfaitement signifiant de domesticité fût-elle basique. Un objet dont toutes les femmes et tous les hommes ont besoin pour leur élémentaire confort quotidien: le matelas, appareil essentiel de la nécessité du sommeil.
Objet que l’on retrouve dans des versions fort différenciées du palace à la cahute et dans sa version ultime dans la présence du carton aplati sur le trottoir par le SDF dans son errance.
La notion d’exode, cela va de soi, est liée à l’idée de déplacement et de territoire, Iseult Labote n’en garde pour le signifier et le suggérer métaphoriquement que l’humilité d’une trace du repos enfin gagné, la restance d’une couche, humble sujet magnifié ici dans l’excellence photographique, comme pour nous inciter à mieux voir et ressentir le courage qu’il aura fallu à certains exilés et ceux-ci défiant parfois la souffrance, les privations et l’humiliation pour gagner enfin un peu de repos, d’élémentaire paix et d’indispensable sérénité.