La Sanglinière est le nom cadastral du petit bois de pins maritimes que l’on
aperçoit depuis le seuil de ma maison, La Courette, longère tourangelle, à
Chaumussay.
Ce petit bois de pins — Sanglinière, palombière pour sangliers ? —, parfois
temple du Cap Sunion par grand soleil, se dresse sur la ligne de crête que j’appelle la ligne Mitchum, car cet horizon proche laisse imaginer, surtout les soirs de lune, l’arrivée chantante du pasteur à cheval dans La nuit du chasseur, de Charles Laughton (1955) : « childrens… » – le temple a ses dieux lares… Un vallon est à mes yeux le monde, ce qu’une veduta en découpe ; et la maison, ce qui le donne à voir.
Les photos furent prises (ou données) de 1996 à 2006, une décennie depuis la rencontre de La Courette jusqu’à l’agonie des dix-huit « bavards », les peupliers disposés en arène, au deuxième plan, dont s’entendait sans fin le colloque des feuillages, seule rumeur du vallon. On n’en propose qu’une année idéale, de cinquante deux semaines.
On dit « je prends des photos » — grammaire de prédateur. Je ne prends pas
des photos, je les reçois. Je me tiens sur le seuil et les accueille : je dis seulement bienvenue. Je reçois une photographie comme je reçois les amis, c’est le monde qui rend visite. Si l’on s’applique à recevoir son monde — « absorbé » dans ce que Rimbaud appelle «la contemplostate de la nature» —, tous les paysages possibles (la Californie d’un soir où les peupliers s’allument par la cime) viennent à vous.
Hölderlin : « Mais si simples les images, si saintes elles sont, qu’en effet
souvent on craint de les décrire. » Appareil photo banal au point de ne pas connaître son nom, zéro photoshop, jamais aucune retouche, et les pellicules n’ont pas été conservées ; les tirages ? Tels que découverts, après développement ordinaire, au magasin disparu du bourg voisin, La Roche Posay.
Merci à Marido Kessler et à Joseph Farine qui m’offrent d’inscrire mon
paysage dans les leurs, ceux de Genève qui me sont familiers et chers tout autant ; merci aux écrivains amis, à Patrick Roegiers, toujours critique photographique du monde, en somme ; et à Jean-Marie Laclavetine qui acclamait, avec moi, de sa fenêtre, La Sanglinière — de l’autre côté de la ligne Mitchum.
Bienvenue au passant.
Alain Borer
